"Où est ma chemise
noire aux manches bouffantes", entendais-je crier mon père,
depuis la grange du fond, avec de la terre battue et une immense
cheminée. "Mon écharpe rouge est-elle sur le cintre ?"
Le trac et le stress se
ressentaient dans la maison. Le spectacle approchant, la nervosité
de mon père faisait trembler les murs et le fer à repasser.
J'adorai repasser les
chemises de mon père, cela était, à mon sens, l'unique lien entre
nous, lien par ce fil du fer à repasser, la vapeur comme des pensées
qui se volatilisent, l'eau s'échappant du réservoir comme mon
enfance, envolée. Mais je détestais repasser celle-là, bien trop
difficile avec ses plis, sa dureté du tissage, sa rudesse.
Cette chemise noire aux
manches bouffantes donnait à mon père une aura hors du commun.
Telle une cape, l'enveloppant dans son monde irréel, inaccessible,
un monde utopique, un rêve lointain, dégageant des mots, des
mélodies, des sons et des paroles libres, dures, fortes devant un
public attentif. Son écharpe rouge, telle une écharpe d'enfant,
douce, délicate, donnant envie de la toucher, de la glisser sur son
cou, de la caresser. Elle apportait une légèreté, une fantaisie
incongrue sur cette chemise noire aux manches bouffantes.
Telle une chauve-souris,
prêt à prendre son envol dans sa chemise, mon père entamait son
récital. Assise dans la salle, je contemplais mon père, les yeux
éblouis, envieuse de son statut, de sa position là, d'être sur
scène, devant un public, devant son élan, à mon tour, prête à
fredonner avec lui ses chansons.
Depuis, à chaque
anniversaire de mon père, je suis à la recherche d'une chemise
semblable, dans chaque région que je visite au fil de mes vacances
d'été. De petites boutiques en petits bazars, je fouille, je
farfouille, comme une enfant, haletante de trouver le trésor. J'en
ai trouvé une, une seule fois, telle une merveille, avec des boutons
en bois, noire aux manches bouffantes, et je l'ai fait enveloppée
dans du papier de soie. Je la trouvais magnifique, aussi fragile que
moi à ce moment.
Naïs
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