ateliers d'écriture sur le thème de la tenue de travail, menés à Saint-Brieuc en septembre et octobre 2012
(les glaneuses détournées sont de Banksy)

mardi 25 septembre 2012

Le CV détourné



















Lors du premier atelier qui s'est tenu au Conseil général, j'ai choisi d'évoquer un livre qui s'inspire, pour mieux s'en abstraire, de cet exercice ô combien codifié qu'est la rédaction d'un CV : Gagner sa vie de  Fabienne Swiatly. Celle-ci explique dans une longue interview donnée à Pascale Arguedas comment lui est venue l'idée de l'écrire. Voici quelques extraits de l'entretien, lus au début de l'atelier :

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Gagner sa vie, ton premier livre édité en 2006 est un récit autobiographique. Surprenant de débuter par soi. Était-ce nécessaire de passer par la réalité pour franchir le cap de l’édition ?

Effectivement, c’est un livre autobiographique, mais j’avais déjà publié en revue des nouvelles qui n’étaient pas particulièrement autobiographiques, par contre la plupart de mes textes puisent dans un événement ou une expérience de ma vie, ensuite je fais appel à la fiction pour poursuivre l’écriture.

Pour Gagner sa vie, je suis partie de mon parcours professionnel. Comme j’étais au chômage, j’avais besoin de rédiger un CV, mais il prenait forcément de la distance avec la réalité (je magnifiais des expériences plutôt banales, j’enlevais les expériences ratées). Puis, j’ai eu, par plus plaisir, l’envie de rédiger le vrai CV de ma vie : avec les boulots merdiques, le travail au noir, les ratages, etc. En le relisant, j’ai eu le sentiment que certaines de mes expériences racontaient quelque chose de l’époque, de mes origines sociales, de la place des femmes dans la société.
L’écriture permet alors de rendre cette expérience lisible par les autres.
Pour autant, j’ai du mal avec le mot autobiographique, car même si on s’attache à la réalité, il y a forcément un travail de fiction : le temps est plus ramassé, le cadrage entraîne une certaine vision du vécu. La mémoire recompose les souvenirs.

Le travail de l’écriture n’est pas de tout raconter mais de donner une  forme à la complexité. Si dans l’histoire la robe doit être rouge plutôt que bleue, elle sera rouge, je m’en fiche. D’ailleurs je ne crois pas à l’autobiographie — on peut être du côté du pacte autobiographique façon Philippe Lejeune, mais on réinvente sans cesse sa propre vie. Ainsi, je te réponds le plus sincèrement possible, mais il est fort probable que j’ai raconté l’écriture de Gagner sa vie différemment ailleurs.
Annie Ernaux emploi le terme auto-socio-biographique dans le livre L’Écriture comme un couteau et je crois que ma démarche en est assez proche.
La vraie difficulté avec ce livre était de résister à l’anecdote. Ainsi à 18 ans, j’ai travaillé pendant quelques mois dans un bar au Luxembourg — il y venait des agriculteurs et des banquiers. Un drôle d’endroit, perdu dans la campagne. On y buvait beaucoup de champagne dans une odeur de fumier. Cela a mal fini et j’ai été viré par le patron flingue à la main. J’ai décidé de ne pas décrire cette période de travail car c’était trop particulier. Marrant, certes, mais trop loin du quotidien de chacun."

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Gagner sa vie est donc un récit, écrit au présent et à la première personne, découpé en courts chapitres thématiques, titrés généralement comme suit : Numéro du chapitre. Entreprise. Lieu. Date.
Chaque chapitre correspond à une situation particulière (les études / le tout premier emploi...). Ils sont liés entre eux par une phrase posant la question du travail qui s'arrête, des choix que l'on fait, du passage d'un domaine professionnel à un autre...

Tout au long du livre, l'auteure multiplie les approches : focalisation sur la voix, les mains (et leur maladresse, lors de travaux manuels) ; description du trajet, du lieu (un studio de radio, une salle de réunion...). Elle évoque également plusieurs fois la tenue de travail. Ainsi, page 21, au moment d'entrer pour la première fois dans l'usine où elle vient d'être embauchée, décrit-elle ses supérieurs par ces mots : 

"Vague image d'un homme en costume qui m'accompagne jusqu'au hangar et me confie à une femme dont la voix cherche à faire autorité. Une voix perchée sur des talons hauts."

Un peu plus loin, page 27, la tenue est, une fois encore, mise en avant, suggérant ainsi que la travailleuse a probablement le sentiment d'être réduite à ce qu'elle est censée faire. Cependant, cette fois, celle-ci apparaît, entière, juste après : effacée par le rôle qu'elle doit jouer, peut-être, mais placée au centre de la description. Dès lors, on comprend qu'elle va résister :

"Le velours bleu de la robe est épais, d'excellente qualité, piqué de petites fleurs rouges. Le tablier blanc est parfaitement amidonné et repassé. Dans la robe de velours bleu, dans le tablier blanc, il y a moi, les cheveux retenus par un ruban noir. Moi, en tenue de travail à l'hôtel-restaurant Le Château, sur les hauteurs d'Etretat. Tenue de travail exigée pour accueillir les clients, les accompagner jusqu'à une table, proposer la carte, enregistrer les commandes, servir les plats et remercier une première fois."

En partant du livre de Fabienne Swiatly, j'ai demandé aux participants d'évoquer leurs premières expériences scolaires et/ou professionnelles en insistant sur la tenue qu'ils portaient. Leurs textes figurent dans les articles qui suivent (avis aux participants : il a pu m'arriver de me tromper en tapant les textes, de ne pas reconnaître un nom, ou un mot. N'hésitez pas à me le signaler)

Avant de commencer, j'ai également cité CV Roman de Thierry Beinstingel. Vous trouverez ici le dossier qu'il a consacré à son livre.

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